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Jacques Desormeaux
Châteauvillain

ancien directeur technique des Usines Le Chameau

actualisation en cours

La vraie vie du directeur des anciennes usines "Le Chameau" à Châteauvillain

par Marie-Florence Ehret

En 1985, monsieur Desormeaux aurait pu retourner à La Rochelle s'il n'était tombé amoureux des lucarnes de cette maison du douzième siècle, rue du duc de Vitry, à Chateauvillain où il habite toujours.

Après vingt­quatre ans de bons et loyaux services comme directeur technique des trois usines Le Chameau, puis directeur du site de Châteauvillain sous la férule d'un PDG qui interdisait aux femmes de ses collaborateurs de travailler, il aurait pu tout plaquer, et embarquer sa femme, son fils et ses œuvres, mais voilà ! Il avait trouvé cette grande maison dans laquelle il pourrait faire tenir une vie qui déborde largement des cadres généralement accordés à une vie.

Ce métallurgiste, comme son père, ce gamin envoyé comme travailleur volontaire en Allemagne, cet ancien d'Indochine, devenu spécialiste du caoutchouc invente une machine à vulcaniser qui lui vaut divers emplois et aboutissent à son recrutement comme directeur technique aux bottes Le Chameau, à Châteauvillain., Pont d'Oully et Ain­Sébaa en 1961.

Tout a commencé à l'école, quand les professeurs ont tenté en vain de le pousser à poursuivre dans la menuiserie à la suite d'un stage où il avait manifesté des dons remarquables. Tout a continué quand il a commencé à retaper, améliorer, refaire des meubles anciens pour se meubler. Jusqu'à ce que les figures, les personnages qui décoraient ces vieux meubles sortent de leur fonction et se

dressent, seules et libres comme des œuvres d'art.

Inspirées par une image, une rencontre, un rêve, mais aussi par le monde religieux ou mythologique, les sculptures se multiplient. Elles naissent du buis, du cerisier, du chêne. Elles s'imposent de ces bois impossibles à sculpter, la racine de chêne, dure comme du fer, le bois flotté, qu'il recouvre à la feuille d'or, ou le ceps de vigne qu'il dresse sur un socle.

Ou cette sculpture de Loïc Fuller par exemple, réalisée en 1996. Cette danseuse du 19ème siècle qui piégeait la lumière dans ses voiles se retrouve à son tour saisie dans le bois. En chêne, elle semble naître de la racine contre laquelle elle se colle ou s'extrait. Le sculpteur unit dans cette œuvre la maîtrise de son ciseau à bois et son obéissance à la nature, nettoyée, cirée et comme sublimée.

Un mamelouk de Napoléon voisine avec le visage de sa petite fille, taillée dans le même bois, de la même main.

Impossible de faire le tour de cette œuvre protéiforme où se mêlent copies et oeuvres d'imagination voire de fantaisie. Car monsieur Desormeaux le dit, il s'amuse. Il ne s'amuse jamais autant que l'outil à la main ! Pinceau, stylo, tranchets, ciseaux à bois, gouges, tout lui est bon pourvu qu'il fabrique, qu'il crée, qu'il construise, qu'il réalise !

Car ce manuel est aussi un intellectuel. Passionné d'histoire, il est l'historien « officiel » de Châteauvillain, il a publié deux livres sur l'histoire de la commune et ses environs, réalisé la maquette de l'ancien château, recroisant pour ce faire trois sources différentes, rénové avec une équipe de bénévoles, ouvriers du Chameau, la Chapelle de la Trinité, sauvé le campanile qui se serait écroulé sans l'intervention de monsieur Preschey. Il a offert à la commune un grand blason peint et traité à la feuille d'or qu'on peut admirer dans la salle des Mariages de la Mairie. Il a aussi fait, sur commande, une maquette du château de Dinteville.

Mais cet homme à tout faire a toujours agi bénévolement. Il n'a jamais vendu ni un tableau ni une sculpture, bien qu'il ait souvent exposé. Il a donné de nombreuses œuvres, aux syndicalistes de son usine, ses amis, entre autres, mais jamais il n'a voulu en vendre une. Et pas davantage ces tableaux, vues de Châteauvillain, natures mortes ou copies comme ce rétable caché de part et d'autre des portes du meubles de télévision, entièrement refait par ses soins.

Nous parcourons la maison du salon au grenier.

Le manteau de la cheminée a été entièrement refait aussi et nombre de meubles et coffres répartis ici et là. Dans le salon, un meuble d'angle habilement aménagé et décoré, une table d'échec coulissante avec ses pièces sculptées une par une.

Taillée d'une seule pièce, cette Catherine de Sienne, guerrière et gracieuse, échappe à toute utilité. Monsieur Désormeaux sourit en présentant une Gaîa, déesse de la terre, comme supplique aux pollueurs de cesser leurs méfaits. Un amusement dit­il.

Pas politique, ce n'est pas son domaine, dit­il aussi, mais citoyen, et citoyen actif, il a multiplié les courriers aux responsables – du maire au député en passant par François Coppée pour proposer, conseiller, chercher des archives, même s'il n'a pas toujours été écouté comme il l'aurait voulu.

Aujourd'hui c'est l'anniversaire de sa femme Jacqueline. La petite fille dont j'ai vu la jolie tête de bois a un peu grandi. Elle est venue avec son compagnon de Paris pour fêter l'anniversaire de sa grand­ mère. Son grand­père aura bientôt 93 ans. Nous fêtons au champagne cette rencontre.

On sonne.

C'est le fleuriste qui apporte le bouquet commandé par leur fils.

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