
Bénédicte Lavocat
Châteauvillain
en cours
Fragments de vie entre équilibre et déséquilibre
Les fragments de vie de Bénédicte Lavocat sont couchés sur un carnet moleskine qu'elle affectionne particulièrement (petit cahier noir à la couverture rigide avec des feuilles d'un blanc cassé qui appellent croquis à mains levées et récits de vie sur le vif).
Moi aussi j'aime ces carnets qui ne me quittent jamais.
Dès lors, le mien accueille le récit de vie fragmenté(e) que nous livre Bénédicte avec une voie douce, au rythme d'autant plus appliqué et articulé, que les séquelles d'un AVC voudraient l'en empêcher.
Bénédicte ne se laisse pas entraver. Une violente, farouche et discrète volonté lui fait surmonter tous les aléas et les désespoirs.
Ne dit-elle pas, avec une pointe d'ironie " j'ai tellement pleuré, que j'ai fait mon quota !". Bénédicte est une combattante qui tombe et se relève résolument grâce à un état de présence au monde empreint de recul et d'éblouissements.
Etudiante elle apprend qu'elle est atteinte d'une sclérose en plaques, jeune mère elle est frappée par un AVC, aujourd'hui son couple vacille.
Pourtant, elle est devant nous, debout dans sa tête (même si ses jambes flageolent), le regard lumineux et livre avec retenue ses armes de vie : le roller, le théâtre baroque et gi-gong (art martial ou plutôt art ancestral) !
Trois modes d'expression qui ont en commun de permettre de "faire face" en prenant appui sur la maîtrise du juste point d'équilibre / déséquilibre de l'esprit et du corps.
Trois modes d'expression qui traduisent un mode de relation à l'autre.
En fait ce regard lumineux est le reflet d'une réflexion méditative intense et d'une pensée empreinte de spiritualité.
Se plaçant dans une dynamique " d'être un grain de poussière dans la vacuité du suprême" (selon une citation d’Antoine LY), Bénédicte ne considère pas lutter contre la maladie : c'est un terme erroné car on ne se bat pas contre soi-même, on accompagne seulement son corps. Il en est de même dans la relation aux autres, si on veut combattre quelqu'un on peut peut-être gagner une bataille, mais sur la durée on est perdant. Ce sont mon rapport à la scène et la pratique d’un art ancestral qui m'ont donné conscience de mon corps et de la façon dont il convient de l'accompagner, ou mieux encore de l’inviter à être, car nous habitons notre corps. S'il manifeste une faiblesse, on la compense par ce que l'on est encore capable de faire. On occupe à nouveau le terrain en découvrant de nouvelles limites. Ma vie n'est qu'une collection de chutes, de maladies et de déboires. Chaque fois des interdits médicaux m'ont été posés dont j'ai fait fi : en partant en Colombie en dépit des mises en garde de mon médecin, en choisissant la maternité aussi risquée fut-elle, en poursuivant des activités professionnelles dans un contexte de violence au travail. Quand j'étais à la Fac à Paris j'ai fait partie des pionnières des ballades citadines en Roller. Entre 30 et 40 au début, nous sommes devenus une horde. Nous étions des loups.
Bénédicte est restée une louve à l’écoute de cet instinct de survie qui la pousse à trouver issues et nouvelles voies d'expression d'elle-même et de relations aux autres.
Cerveau reptilien de louve, mais pas seulement : les deux hémisphères de son cerveau sont eux aussi solidement développés. Elle appréhende encore de rencontrer ses anciens amis car elle redoute leur regard sur son nouvel état, ce regard de l’autre qui fait si souvent douter de soi-même. Depuis lors, elle a su trouver la posture de gi-gong adaptée, elle a su jouer à nouveau avec la gamme de ses possibles et trouvé les voies de passage.
Elle a découvert que le regard de ses amis n’avait pas changé et elle a retrouvé le plaisir de les rencontrer.
Comment ?
En surmontant ses craintes et puisant une nouvelle fois en son for intérieur (merveilleuse expression)…
Comme toujours.
(Texte établit par Marie Solange Dubès à partir des entretiens avec Bénédicte Lavocat)
En encart
TROIS = UN
Roller, théâtre baroque et gi-gong.
Trois passions, trois pratiques et trois postures qui ont en commun de charpenter l’être, d’en faire un arbre au tronc solide, profondément enraciné dans le sol et pourtant capable de bouger au gré des vents et d’osciller tout entier au moindre mouvement impulsé de sa cime.
Trois postures qui permettent à Bénédicte Lavocat de faire face, d’être en perpétuel équilibre /déséquilibre et de travailler sa relation à l’autre. Poussée dans ses retranchements, elle m’a permis d’approcher les sources de cette force qui l’habite et l’anime. Et ces nouveaux fragments recomposent un tout.
Faire face
« La pratique du roller exerce à faire face frontalement aux obstacles, dans une dynamique aussi folle que maîtrisée, dans la tension (l’attention), pour prévoir chacun de ses mouvements et ceux des autres.
Le gi-gong c’est d’abord faire face à soi-même, grâce à un travail sur son moi intime en luttant contre ses propres doutes jusqu’à ce que rien ne fasse plus douter.
Le comédien de théâtre baroque quant à lui doit toujours faire face au public en se plaçant devant les lumières de la rampe éclairée de bougies, sinon il est estompé ou plongé dans l’obscurité du fond de scène et sort du jeu. »
Equilibre / déséquilibre
« La posture du théâtre baroque oblige le corps à une légère et permanente contorsion. Cette asymétrie, ce déséquilibre dynamique signifie que l’acteur est toujours en état de tension et d’écoute sur scène ; dans un état de présence extrême au spectateur.
Le but du gi-gong est de préserver sans cesse l’équilibre en adoptant des postures très solides face à des situations qui poussent au déséquilibre.
Enfin, le roller c’est l'art de rester debout en situation permanente d’équilibre instable ».
Une autre relation à l'autre
Le théâtre baroque pousse à faire attention au prononcé, conduit à une prise de conscience de la mélodie d'un texte et des particularités de la construction de la parole. Au travers des mots et d’un phrasé qui prend son temps s’établit une autre relation à l'autre.
Au vulgaire « bonjour (quand ce n'est pas « salut) se substitue le "je vous donne le bonjour" accompagné d'un geste ample et ouvert.
Le roller, pratiqué en bande, incite à s'adapter à son environnement, aux mouvements et déplacement des autres, à ne pas les mettre à danger, à les accompagner dans leur vitesse et leur dynamique de propulsion tout en veillant aux siennes. Une attention extrême doit être portée aux moindres signes d’inconfort et de danger.
Le gi-gong, enfin, c’est le retour de la relation à soi par un approfondissement qui ouvre à l’autre car il s’agit d’être au plus près de son être et de son corps pour amener l’autre, par effet miroir, à se poser et à se recentrer.
Au terme de ces quelques éclairages, une autre discussion s’est entre ouverte sur le rapport aux autres et à l’espace : l’espace de la rue pour le roller, l’espace restreint de la scène et l’espace de soi…mais ce sera un autre récit que nous livrera Bénédicte… plus tard.